L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde.

Janvier. Un peu de neige au sol, enfin. Les enfants sont heureux. Les motoneiges, échouées sur la pelouse depuis le jour de l’An, servent à nouveau à travailler dans le bois pour entretenir les sentiers pour les sucres.

Un soir cette semaine, avec une des filles, on revenait de quelque part. Le couvert blanc réfléchissait la lumière. Au loin, à une quinzaine de kilomètres, une immense lueur. Immense comme un stade olympique. Ou une soucoupe volante, j’ai dit. On ne sait jamais.

On roulait sur Roxham. Parenthèse ici : je ne parlerai pas des actualités de ce chemin que j’emprunte deux fois par jour. En fait, j’y reviendrai un peu plus bas. Toujours est-il que je dis à ma fille que je trouve ça beau, cette lumière, comme un dôme, dans la nuit. Elle me demande si je sais ce que c’est.

« Non.

— C’est les Serres de S...

— Wow, je dis, c’est bien, ç’a l’air gros, ça doit produire pas mal et c’est une belle affaire qu’on produise ici chez nous.

— Pas vraiment, qu’elle me répond, tout le monde s’en plaint sur Facebook, parce que ça fait trop de lumière. Pollution lumineuse.

— Misère... y a personne qui écrit être heureux de ça ?

— Non, personne. »

On veut manger des fruits des légumes qui ne viennent pas de Californie ou d’Amérique du Sud. On aime dire que l’on mange local. On adore l’idée de manger du tofu ou des tomates ou des fraises qui viennent de chez nous.

Dans une serre, on concentre la lumière et la chaleur pour reproduire l’été. Ailleurs, aux champs, ça prend des tracteurs, du diesel, et avant d’être dans un pot en plastique à l’épicerie, c’est dans de la terre.

Qui plus est, ce sont des travailleurs d’Amérique du Sud qui sont dans les champs. Des migrants officiels (et temporaires) que l’on accueille, car ils rapportent à l’économie. L’hiver, plusieurs travaillent aussi dans les serres.

Quand j’étais enfant, une de mes grands-mères lisait avec une loupe. Un jour, je l’ai essayée et c’était fascinant, telle une magie ; ça permettait de grossir et de voir autrement les mots et les choses. Plus tard cette même journée – après une mise en garde –, j’ai compris qu’en l’orientant dans un certain angle sur une feuille de papier, on pouvait y faire un trou. En concentrant les rayons de la lumière du soleil sur un petit point, on générait suffisamment de chaleur pour faire du feu. Je me souviens avoir fait un bonhomme sourire sur un devoir de français.

Le président de la prochaine COP est PDG d’une société pétrolière et on en parle pendant quelques jours intensément et puis, hop, ça tombe dans le fossé. Idem pour à peu près tous les sujets d’actualité, d’une tempête de neige au prix de l’essence.

Est-ce un effet de loupe des médias ? Des réseaux sociaux ? Existe-t-il autre chose dans le monde que des malheurs, des injustices ou des indignations à exprimer ? Lorsque la loupe isole un mot, une phrase ou un état social, on semble perdre une vue d’ensemble.

Revenons à ce PDG du pétrole qui présidera la prochaine COP. Moi, je trouve ça le fun (aucune ironie ici). En prenant son gaz égal ; on ne doit pas oublier que le ministre canadien de l’Environnement est un ancien militant écologique extrême qui, une fois élu et membre d’un gouvernement, offre aussi des « avenirs » à l’industrie pétrolière canadienne. Me semble que c’est donnant-donnant dans le budget du karma ?

Mais on s’éloigne. Revenons aux serres. Évidemment, se plaindre semble plus facile que se réjouir. Au nom de quoi au juste ? Ce droit (libre) de chialer semble combler un manque humain naturel et biologique. Un peu comme la porno remplace l’autre vraie chose.

Cet effet de loupe inquiète. C’est devenu un réflexe de masse qui pollue autant que la lumière des serres.

Est-ce impossible d’accepter que rien n’est parfait ? On pourrait aussi se raconter quelques beautés de temps en temps.

Ou alors, on embauche une firme-conseil pour gérer nos sentiments ou une situation puisqu’on a perdu une vue d’ensemble au profit d’une étrange liberté d’expression limitée. La compétence sociale semblant faire défaut au pouvoir public, elle s’est réfugiée chez le privé pour certains et dans les réseaux sociaux pour d’autres. Les gens se plaignent pour tout et pour rien, comme si la seule emprise possible sur la réalité était d’en être éploré.

J’allais oublier. Le chemin Roxham.

Le 3 janvier dernier, vous jure, y a un gars qui labourait son champ sur Roxham, pas un champ de poète ou d’une émission de tivi, mais une centaine d’acres de terre noire à légumes. Jamais vu ça en hiver. Me suis arrêté pour le regarder. C’était magnifique. Le tracteur forçait, les roues enfoncées presque jusqu’aux essieux, les labours sortaient du sol derrière la charrue. La terre sera prête tôt ce printemps pour les semis et les plantules. Heureux de constater que des gens s’affairent à nourrir le monde, loin des projecteurs, d’une loupe et des indignés de salon.